Justifier et éclairer

Jusqu’à présent, le besoin, en Afrique, a été de défendre et d’illustrer l’Afrique.

Les revues de ce genre, magazines à idées dit-on en Anglophonie (ideas magazine), revues intellectuelles comme le furent Crisis aux USA, La Revue du monde noir, Légitime défense, L’Étudiant noir, Tropiques, Présence africaine en Francophonie ont tendu, sur le versant africain de notre commune humanité, à défendre et illustrer ledit versant. Pour des raisons légitimes, voire, précisément, de légitime défense, puisque l’humanité africaine a été constituée, dans le monde moderne (en d’autres temps, ce fut autre chose), comme une proie et une servitude, consignée dans la nuit de qui est sans histoire ni identité valables, privée de voix, à part celle du suppliant et du perroquet. Il fallait sauver cet être et lui redonner sa dignité. C’est une tradition qui fut nécessaire et l’est encore un peu, mais dans laquelle ne s’inscrit pas ce magazine.

Il fallait l’évoquer, car c’est ce qu’invoque presque toujours le mot « Afrique » dans un titre. Notre ambition à nous est plutôt de justifier et éclairer—justifier voulant dire, ici, comprendre comment notre terrible humanité, africaine et autre, peut rechercher la justice : non pas la seule justice que méritent en effet les Africains, mais toute la justice, y compris celle qui peut être rendue contre des Africains.

Justifier, éclairer, un peu amuser aussi.

En somme, le mot « Afrique », ici, ne renvoie pas à la « cause africaine ». Il veut dire que les universels problèmes de notre humanité, tragiques et banals ; ou parfois ses prospérités humbles et magnifiques, seront vus, considérés, ressentis à travers un prisme africain, reflétant l’expérience africaine, peut-être en effet afrocentré, mais de manière ouverte, accordée à la complexité du monde et des choses.

Disons que lorsqu’on établit un magazine comme (par exemple) Les Temps modernes, ou le New Yorker (la Gazette Afrique est d’ailleurs un exercice d’admiration à l’endroit du New Yorker), le besoin ne s’est pas fait sentir de les particulariser, de les restreindre à une portion de l’humanité et un secteur de la planète. Il s’agissait de parler de tous et de tout à partir de l’expérience française, américaine, etc. Nous pensons que faire de même à partir de l’expérience africaine apporte quelque chose d’autre et de nouveau, un enrichissement de notre commune humanité, qui ne doit valoir, cependant, que s’il s’inscrit dans l’objectif d’un travail de justice et d’humanité—le plus souvent à travers des textes longs et mûris, qui parlent d’histoire, de politique, d’économie, d’art, de société, et aussi de la vie de tous les jours, de personnes connues (comme Yambo Ouologuem dans ce volume) et moins connues ; à travers aussi les récits (inédits), la poésie, la réminiscence et la variété.

Ce premier volume débute l’expérience. Il n’est pas encore ce que sera le magazine dans toute sa force, ce sont ici des premiers pas que l’on pourra suivre aussi sur son interface Internet (www.gazette-afrique.com) où viendront, avec le temps, les médias adaptés à cette ressource. Mais pour ces commencements, prêtez-nous votre sympathie, votre intérêt, peut-être votre conscience. Le reste suivra.

G.A.